La renaissance architecturale de l'Afrique: les 3 noms qu'il faut absolument retenir

La rénovation des thermes de Sidi Harazem de Jean-François Zevaco, le ‘Le Corbusier du Maroc’, est dirigée par l’architecte marocaine Aziza Chaouni, diplômée de l’Université de Columbia. Et d’après le New York Times, qui est “peut-être l’architecte le plus fascinant du monde”? Le ghanéen David Adjaye. Le concepteur du Pavillon Serpentine en 2017? Diébédo Francis Kéré, né au Burkina Faso. La nouvelle génération d’architectes africains ne manque pas d’ambition. Voici trois architectes et leurs projets visionnaires.

Peut-être l’architecte le plus fascinant du monde: David Adjaye

Conçu par Adjaye, le Museum of African American History de Washington a été inauguré en 2016 par le président Barack Obama. ©Getty Images/Passage

De tous les architectes africains, Sir David Adjaye (52 ans) est, à notre avis, le candidat le plus sérieux au prix Pritzker, considéré comme le prix Nobel d’architecture. Il est le seul Africain à avoir eu l’honneur de construire un gratte-ciel dans le quartier financier de New York. Et le seul à avoir été fait chevalier pour sa contribution à l’architecture.

Son style narratif est résolument empathique et positif: il est convaincu que l’architecture peut améliorer la société. Ses bâtiments publics se nichent dans le tissu des lieux. Sa tour résidentielle ‘130 William’, à New York, par exemple, n’est pas faite de verre et d’acier, mais de briques traditionnelles, comme les entrepôts ‘brownstone’ typiques de la métropole. La façade de son Musée national de l’histoire et de la culture afro-américaines de Washington est revêtue de fines écailles de bronze, inspirées de l’architecture de la tribu Yoruba, au Nigeria. Le Time Magazine le considère comme une des personnes les plus influentes du monde et, pour le New York Times, il est ‘perhaps the most exciting architect in the world’.

Adjaye vit et travaille à New York, Londres et Accra, capitale de son Ghana natal où il a récemment ouvert une agence: un signal important pour l’avenir de l’architecture africaine. Son projet pour la cathédrale nationale d’Accra, soumis en avril, est tout aussi important en matière de parti pris. Cette salle de concert (5.000 places) / église / conservatoire / galerie d’art / salle de réunion / musée de la Bible sera un jalon dans la renaissance de l’architecture africaine, parce que presque tous les bâtiments publics de cette envergure ont, jusqu’à présent, été construits par des architectes européens ou américains.

Pour la cathédrale, comme pour toutes ses réalisations, Adjaye s’inspire des traditions de construction locales. Son rêve: inspirer d’autres architectes africains à concevoir, outre les nouveaux hôpitaux, écoles et habitations impérativement nécessaires, des bâtiments collectifs ambitieux. Comme le Musée national de l’esclavage, sur lequel Adjaye travaille actuellement à Cape Coast, qui est l’ex-capitale du Ghana, mais aussi l’ex-plaque tournante de la traite négrière ouest-africaine.

Avec un musée, une salle de conférence et un hôtel, il tient à offrir une scène digne à cette page sombre de l’histoire africaine. Il en a été de même pour le Musée de l’histoire et de la culture afro-américaines de Washington, inauguré en 2016 par le président Obama.

Jusqu’à présent, sa contribution la plus importante à l’architecture africaine est peut-être un livre, ‘African Metropolitan Architecture’, un opus en sept tomes pour lequel il a visité 53 villes d’Afrique pour y photographier et documenter les bâtiments historiques et contemporains les plus importants, dotant ainsi l’Afrique d’une encyclopédie de l’architecture, ce que personne n’avait fait avant lui. L’ambition de cet ouvrage est claire: écrire l’histoire de l’architecture africaine à l’aide de ses futures réalisations.

Projet d’urbanisation dans la baie de Cocody. © Jacques Torregano pour JA

Conçu par Adjaye, le Museum of African American History de Washington a été inauguré en 2016 par le président Barack Obama. ©Getty Images/Passage

D'un hôpital à un opéra en autoconstruction: Diébédo Francis Kéré

Dans les milieux architecturaux internationaux, deux tremplins sont convoités: la Biennale de Venise et le Pavillon Serpentine à Londres. Diébédo Francis Kéré (53 ans) a déjà eu l’honneur de concevoir les deux, respectivement en 2016 et 2017. Il a été le premier Africain à faire partie de l’illustre groupe des ‘architectes Serpentine’, aux côtés de Zaha Hadid, Peter Zumthor, Frank Gehry, Jean Nouvel, Rem Koolhaas et Herzog & de Meuron. Son pavillon était inspiré de l’arbre central autour duquel les gens se rassemblent, aujourd’hui encore, dans son village natal de Gando, au Burkina Faso.

Toujours au Burkina Faso, il met en place des projets en autoconstruction pour un hôpital, un opéra et un lycée à Koudougou, avec une façade-claustra en fines branches. Le lien de Kéré avec la Belgique? Lors du Salone del Mobile 2016, au Palazzo Litta où le magazine belge dAMN° coordonnait une série d’expositions, l’architecte a conçu une installation inspirée d’un village africain. Les tabourets en bois ‘Ziba’ créés à cet effet sont toujours en production chez l’éditeur italien Riva 1920.

En tant que fils du chef du village, il est le seul garçon de son village natal à avoir eu le privilège d’aller à l’école. Faute d’école sur place, il part, seul, à sept ans seulement, pour la capitale, Ouagadougou, où vit son oncle. Après ses études, il obtient une bourse pour étudier en Allemagne, où il suit des cours de menuiserie, puis d’architecture à l’Université technique de Berlin. Et en 2005, il fonde son propre cabinet à Berlin. En 2001, reconnaissant pour les opportunités dont il a bénéficié, il construit la première école de son village natal – où il n’y a ni eau courante, ni électricité.

Trouvant le béton inadapté, il utilise des briques de terre crue. Il implique tout le village dans la construction de l’école: chacun a une tâche, doublée de conseils pour utiliser au mieux les matériaux locaux. Le nombre d’élèves de l’école augmente rapidement et Kéré agrandit le site en y ajoutant une bibliothèque (avec des pots en terre cuite en guise d’éclairage), des logements pour les professeurs et une école secondaire.

Gardienne des trésors modernistes d'Afrique: Aziza Chaouni

Dans sa ville natale de Fès, Aziza Chaouni et son cabinet d’architecture planchent actuellement sur une mission très spéciale: la restauration de Sidi Harazem, une station thermale de Jean-François Zevaco (1916-2003). La Marocaine, qui a étudié à l’Université Columbia de New York ainsi qu’à la Harvard School of Design de Cambridge, est professeur à Toronto, au Canada. Depuis la fondation de son bureau, en 2009, l’intégration écologique de l’architecture au paysage est son cheval de bataille.

Elle a travaillé sur plusieurs projets patrimoniaux, comme la bibliothèque al-Quaraouiyine de Fès. C’est dans les grands projets qu’elle donne le meilleur d’elle-même: elle a participé à l’ouverture des canaux couverts de Fès et développé un projet d’écotourisme durable dans le désert.

Une fois restauré, le projet pourrait bien devenir les ‘thermes de Vals’ du Maroc: la création de Zevaco est aussi radicale et expressive que celle de Peter Zumthor à Vals, en Suisse, et attirera très certainement les touristes de l’architecture à Fès. Le fait que la Getty Foundation américaine ait aussi sponsorisé la restauration illustre la qualité internationale de l’architecture de Zevaco, qui s’apparente autant à celle de Frank Lloyd Wright et Oscar Niemeyer qu’aux traditions maghrébines. C’est précisément pour cette raison que ce projet a une fonction de signal important: en Afrique, il y a un précieux patrimoine moderniste qui mérite d’être préservé avant qu’il ne soit trop tard.

Pour Aziza Chaouni, l’objectif était surtout de rendre les Marocains fiers de leur architecture moderne. David Adjaye l’affirmait déjà dans son livre ‘African Metropolitan Architecture’: ce n’est pas uniquement avec des nouveaux bâtiments que l’on crée une nouvelle identité architecturale pour l’Afrique.

Sidi Harazem est une des dernières réalisations de Zevaco encore debout. En 1960, l’architecte brutaliste casablancais culte, genre de ‘Le Corbusier du Maroc’, avait fait creuser des bains ovales dans les collines, à quelques kilomètres de Fès. Le béton est omniprésent dans cette station thermale, qui témoigne de l’audace architecturale du Maroc après son indépendance, en 1956. Malheureusement, ce complexe est resté inoccupé pendant des années, ce qu’Aziza Chaouni regrettait, car elle avait l’habitude d’y aller avec sa grand-mère. À son apogée, Sidi Harazem comptait des bains, 71 bungalows, un hôtel, des places de marché et des sentiers de promenade.

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